Faut-il utiliser les IFC ou un format propriétaire ?

Le format IFC est une norme pour assurer l’interopérabilité entre les logiciels de maquette numérique

Format IFC versus formats propriétaires

L’interopérabilité.

Le logo IFC
Le format IFC est une norme pour assurer l’interopérabilité entre les logiciels de maquette numérique

Ce vilain mot est récurent dans le champ lexical du BIM, et à juste titre. Il désigne la capacité des logiciels, parfois concurrents, à échanger des informations entre eux sans perte d’information. Le format IFC (Industry Foundation Classes) normé ISO 16739:2013, a pour fonction d’assurer l’interopérabilité de la maquette numérique.

Mais l’IFC peut-il s’imposer ? Est-ce que sous prétexte qu’il est désormais une norme, cela suffira-t-il à garantir que tous les échanges se feront au travers de ce format ?

L’opinion générale porte évidemment à cœur d’avoir un format OpenSource, gratuit et libre de droits. La fondation BuildingSMART est la porte-parole de l’OpenBIM et promeut l’emploi des IFC auprès des pouvoirs publics en argumentant l’idée qu’il n’est pas sain de faire reposer les espoirs du BIM sur des solutions logicielles « privées » dans des formats de fichiers dits « propriétaires » (format RVT par exemple pour le logiciel Revit). Il y a donc toutes les chances pour que la réglementation française stipule précisément que la norme IFC sera celle à employer pour les échanges de maquette dans un processus BIM, comme c’est déjà le cas dans tous les autres pays ayant rendu le BIM obligatoire.

La situation est très ambigüe entre les éditeurs de logiciel de maquette et la norme IFC. D’un côté, aucun éditeur de logiciel ne pourra prétendre s’imposer comme « le meilleur logiciel de BIM » s’il n’est pas compatible avec la norme IFC. L’éditeur est alors contraint de gérer ce format, mais nous sommes dans un contexte où l’IFC n’est pas encore parfaitement bien géré. Les logiciels de maquette (ArchiCAD, Revit…) prétendent tous être capables d’importer et d’exporter de l’IFC sans perte, mais dans la pratique on se rend compte que l’interopérabilité n’est pas encore au point. Concrètement, une maquette modélisée dans ArchiCAD, exportée en IFC puis importée dans Revit a toutes les chances (à l’heure où j’écris les lignes) de présenter des incohérences, notamment en ce qui concerne le maintien des « attaches » entre les objets (par exemple, un mur initialement attaché à un toit, et qui donc s’arrête sous celui-ci, risque de perdre la liaison de se prolonger au-delà du toit en le « traversant »).

Le logo OPEN BIM
La certification OPEN BIM est attribuée aux logiciels gérant parfaitement la norme IFC

Ce genre de pertes d’informations est évidemment difficile à admettre pour un usage vraiment professionnel du BIM. Même en faisant preuve d’indulgence à l’égard de cette technologie encore fraiche et imparfaite, les conséquences potentielles d’une perte de données sur une maquette sont telles qu’à elles seules elles peuvent provoquer l’abandon total de ce format. En l’état actuel des choses, avec un format IFC peu fiable, les entreprises décident donc le plus souvent d’échanger leurs maquettes au format natif, ce qui impose alors à tous les interlocuteurs de travailler sue le même format de fichier, et donc sur le même logiciel.

Les éditeurs de logiciels jouent donc un double jeu : d’un côté ils sont contraints d’affirmer leur parfaite compatibilité avec le format IFC, mais de l’autre, ils ont tout intérêt à s’en affranchir et à inciter les utilisateurs à échanger au format natif, et donc à retenir collégialement un logiciel unique, ce qui engendrera pour le logiciel qui saura se positionner comme leader du marché une évolution exponentielle des achats de licence et une très rapide situation de « quasi-monopole » sur le marché.

Autodesk illustre parfaitement ce double jeu. En se positionnant comme « soutien de la première heure » du format IFC – ce qui est vrai – l’éditeur se donne une image « pro-OpenBIM » qui lui permet de gommer l’image du « méchant éditeur » du logiciel AutoCAD en situation quasiment monopolistique depuis des décennies et qui a engendré la fortune du groupe. Mais en parallèle, les failles de l’IFC sont un parfait rabatteur de troupes dans une stratégie commerciale qui vise évidemment à conserver une situation de quasi-monopole. Peut-on aller jusqu’à dire que les éditeurs de logiciels « sabotent » volontairement la compatibilité avec l’IFC dans le but de renvoyer les utilisateurs vers leurs formats propriétaires ? Sans preuves, impossible à affirmer, mais ce double jeu conduit tout de même à avoir quelques soupçons. Ce qui est sûr c’est que les vraies faiblesses du format IFC, car elles sont nombreuses, arrangent bien les éditeurs, tout du moins ceux qui sont en tête de peloton.

Un avenir incertain pour le format IFC

Avant toute chose, insistons que le fait que les IFC sont nécessaires.

Même si ce format ne parvenait pas à s’imposer comme « format de conception » – ce qui semble très probable – il sera nécessaire de posséder a minima un « format d’archivage » qui soit libre et gratuit. Qui garantit que dans 20 ans les logiciels employés pour modéliser votre maquette seront encore présents sur le marché ? L’archivage sous la forme d’un format propriétaire est très risqué et doit absolument être évité, ou tout du moins couplé au stockage dans un format ouvert : l’IFC.

L’IFC par sa gratuité permet également aux « petits logiciels » satellites, de simulation thermique ou d’ombrage par exemple, d’avoir un format d’entrée commun et indépendant du logiciel ayant servi à bâtir la maquette. Il offre donc la possibilité aux logiciels « métier » de se détacher complètement des mailles d’un éditeur géant dont l’exploitation du format de fichier n’est ni gratuite ni libre.

Mais les IFC n’évoluent pas aussi vite que l’intérêt grandissant du public pour le BIM. Trop de faiblesses sont encore non résolues : la perte de liaisons entre certains objets, la perte du caractère « paramétrique » de certains objets (la « surcouche d’intelligence » donnée aux objets pour faciliter la conception), la perte de l’affection de certains matériaux.

90% des investissements logiciels vont se faire dans les 5 prochaines années, et la décision de retenir tel ou tel logiciel tiendra évidemment compte de la possibilité de travailler en collaboration avec les autres entreprises sans perte d’informations. Ce qui revient en l’état actuel des choses à s’affranchir de l’IFC, et donc à s’orienter vers le logiciel le plus en vogue sur le marché pour maximiser ses chances de trouver des partenaires équipés du même logiciel.

Nous assistons en ce moment à un monopole en auto-construction qui conduira très probablement à ce qu’un logiciel s’impose comme une « norme officieuse ». Même les logiciels satellites qui exploitent la maquette numérique pour réaliser diverses simulations ont désormais tendance à shunter l’IFC en communiquant directement avec le logiciel de maquette sous la forme de « plugins », des petits programmes additionnels qui se greffent au logiciel de maquette numérique.

Le sort des IFC va donc se jouer très rapidement et nul doute que cet article semblera obsolète dans très peu de temps !

Par Clément VALENTE

Expert en construction numérique

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